LE BIVOUAC de la PLEINE LUNE DE MAI 2012
Le Bivouac de la pleine lune de mai fût une étape essentielle et marquante dans l'évolution des Sentiers du Bivouac.
L'intensité spirituelle du moment (la Wesak), associée à des conditions météo agitées liées aux forces sourdes de la terre,de l'eau et du vent, a accouché d'un bivouac totalement inédit, rugueux, dense, plein d'imprévu et en définitive, riche et passionnant. Il y a eu une alchimie diffuse dans le groupe (réduit à 7 sur les 10 prévus en raison de la météo), chaque participant accueillant les circonstances extérieures avec le centrage que donne la force d'amour de la nature.
Tout d'abord la puissance de la rivière, gonflée par la fonte des neiges tardive, a créé une ambiance particulière.
Arrivés à hauteur du bivouac, il a fallu tendre une corde-passerelle au dessus de la rivière pour sécuriser le passage.
Le temps d'arriver, de se familiariser avec l'énergie du lieu et d'honorer l'autel sous les derniers rayons de soleil, un orage de grêle mémorable s'invite brusquement. Les éclairs, le tonnerre, une force compacte s'abat sur nous et nous observons un peu médusés les grêlons consteller le sol de ses petites perles glacées éphémères.
Exceptionnellement, nous avions apporté un double toit de tente afin de nous ménager un abri conséquent. Dérogation à l'esprit des Sentiers du Bivouac justifiée par les circonstances.
Rapidement, nous comprenons qu'il sera impossible de retraverser la rivière avant le lendemain. Le doux Vanson s'est transformé en un fleuve furieux charriant une boue rougeâtre. J'ai bien essayé de traverser (quand même, ma rivière, ma complice de tous ces jours heureux, comment en aurais-je peur ?), mais le constat est impressionnant : le courant devenu redoutable interdit toute tentative. Nous voici bloqués sur la rive Est.
Reste le côté ouest. Le soleil revient et illumine la colline et le bois de hêtres. Le groupe monte jusqu'au sommet et découvre la magie du lieu. Une plateforme secrète domine la rivière, et il nous semble que le lieu est habité, avec ses portes invisibles et son belvédère rocheux saluant les sylphes venus de la montagne des Monges.
Le ciel apaisé accueille notre première veillée à la nuit tombée. La présence de la pleine lune de mai, encore masquée par la falaise, imprègne l'assemblée. Une intensité particulière s'installe progressivement, tout en douceur. La salutation aux 6 directions, un mantra chamanique, et voici les tambours animés par les hommes qui résonnent contre les rochers. La prière chamane chantée amène la danse des femmes. Danse de la terre, danse du corps en accord avec l'esprit de la lune de ce soir. Sobre, profonde, pénétrée. L'espace est libre enfin pour le silence. Les "grands-pères" s'approchent, et murmurent clairement. Le feu dessine quelques messages. Peu de mots seront nécessaires, finalement, pour sceller l'accord de cette soirée simple, fluide, pénétrante.
La journée suivante prépare l'alchimie finale de ce bivouac décidément peu ordinaire.
Le niveau de la rivière a baissé et le matin nous retraversons enfin la rivière pour nous livrer à quelques jeux coopératifs sous le soleil. Le «coureur aveugle» nous réserve quelques émotions, tandis que «poules et canards» augure de ce que peuvent donner ces jeux comme humour, loufoquerie joyeuse et tendresse spontanée.
Puis nous montons vers le «nid d'aigle», des rochers escarpés dominant le site de leur majesté.
Lieu privilégié pour communier, et saluer le déva du Vanson.
L'après-midi, je prépare la sweat-lodge. Tous dorment ou se reposent au campement. Je ne le sais pas encore, mais des évènements totalement inattendus se préparent qui vont chambouler le programme.
Tout d'abord, en fin d'après-midi une inquiétude se lève et nous décidons de reporter la sweat lodge par solidarité. Une d'entre nous, "Marie-Madeleine", est tombée malade, et se retrouve clouée dans son duvet. Puis tout s'enchaîne. Après une dernière soirée au coin du feu, j'ai scié trop de bois et travaillé au-delà des limites de mon corps. Verdict au réveil le lendemain matin : lumbago. Je suis consterné. Ma détresse est juste adoucie par l'optimisme de notre malade qui va déjà mieux et se sent d'attaque.
Mais je perds la main et me retrouve tributaire de la solidarité du groupe. Le bivouac va devoir s'achever plus vite que prévu avec un impératif pour ce qui me concerne : réussir à parcourir les quelques kilomètres de rivière et de sous-bois qui nous rameneront à bon port avant que le temps ne tourne de nouveau. Mais je n'arrive même plus à me mettre debout et la situation devient critique. Pendant un bon moment, je perds confiance, balayé par le doute et l'inertie d'un corps rompu. Par instinct, je m'expose au soleil et me prosterne à terre, buvant chaque rayon, abandonné à une prière muette. Je sens progressivement l'énergie de la rivière monter en moi et me soutenir. Un vent solaire me parcourt. Je devrais être encore à terre, foudroyé par un lumbago de force 5 et pourtant je me redresse. J'ai la sensation de défier les lois de la pesanteur. J'en oublie presque ma douleur, coriace et tenaillante, face à ce véritable miracle qui me permet de tenir debout quand je décide de traverser la rivière. Mes compagnons m'observent de loin, un peu incrédules et absorbés par leur tâche de ranger et rapatrier le matériel et les affaires .N'étant pas en capacité de les aider, sans réfléchir, je me lance et pousse un cri de joie féroce en accostant sur l'autre rive. Une sensation de liberté irrésistible m'inonde et pendant plus d'une heure, euphorique, je communie avec la rivière et le feu du ciel en marchant de tout mon être, delivré, purifié.
Lorsque nous nous retrouvons tous ensembles pour notre dernier cercle, tout en regrettant de n'avoir pu offrir à mes compagnons le bouquet habituel de sensations et de lieux secrets qui font le charme et le bonheur de tout séjour dans le Vanson, je suis saisi par la puissance de notre expérience commune. C'était pour nous. Tout est juste. Je me sens rempli d'une force inhabituelle, une joie évidente qui me murmure que ce bivouac est, au-delà des évènements, une vraie réussite malgré tout. Notre épreuve commune a été créatrice, formatrice et, finalement, bienveillante.
Pour Marie-Madeleine, l'expérience a été aussi concluante et présente finalement une similitude avec mon propre vécu. Des énergies fortes, un travail intérieur dans des circonstances inhabituelles ont sous-tendu son état qu'elle a finalement vécu comme un processus intense, riche de sens, presque initiatique et couronné par un rêve prophétique (annonçant tous les évènements suivants) fait la veille.
Il y a eu des tensions aussi, entre ceux qui voulaient accueillir avec lâcher-prise les évènements et ceux qui préfèraient pointer l'urgence de la situation, et souhaitaient agir rapidement et plus concrètement. Pour moi il est flagrant que personne n'avait tort, ni raison. Nous avons vécu dans un athanor, un révélateur qui nous a offert une séquence dont chacun peut tirer des enseignements, et en premier lieu moi-même.
Ce que je retiens, essentiellement, c'est à quel point chaque bivouac constitue une richesse d'expérience inégalable, quelles que soient les circonstances. Cette nature forte, habitée, vivante, nous observe et agit sur nous, et nous en repartons avec un bagage invisible.
Mais je tiens surtout à remercier avec gratitude tous les participants de ce bivouac qui ont permis, par leur attitude et leur force intérieure, d'ouvrir d'autres portes bien au-delà des apparences en tenant leur cap intérieur quoi qu'il arrive. Il s'est produit quelque chose de réellement chaman en définitive, plus encore qu'avec les tambours ou les rituels. Une exigence forte nous plongeant au coeur de la nature face à nos émotions et à nos peurs nous a conduits au-delà de la dualité à vivre une expérience hors du commun, qui pour moi marque l'étape de la maturité pour les Sentiers du Bivouac. Ceci me donnera encore plus de détermination pour les prochaines occasions. Merci à Crazy Fox et sa force inébranlable (physique autant que spirituelle), à Marie-Madeleine, à Zaïn, à Mana, et à Blanche et Tecumseh !