APPROCHE DE LA RIVIÈRE : AUX SOURCES DE L'ÉCOLOGIE SACRÉE
Le cadre des bivouacs s’articule autour de la rivière. Sur quelques kilomètres serpente un cours d’eau plein de caractère, sauvage et pur, qui nous offre un cheminement dans des espaces diversifiés. Sous-bois, collines, havres furtifs, ruisseaux secrets, falaises, cascades et enfin gorges se succèdent ou se chevauchent tout au long d’un itinéraire conçu pour s’abandonner, se laisser glisser au fil d’une onde vivifiante et écouter le murmure subtil et secret de ses habitants invisibles. Car cette eau abondante, cette écume discrète, ces ondulations frémissantes abritent un alphabet secret que notre corps reconnait spontanément. Tout un langage et tout un monde prospèrent ici, à l’écart du monde, en intelligence et en harmonie avec la cause première. Tout est vivant, pénétrant, riche de promesses. En entrant dans l’eau des frissons de bonheur me parcourent, et au-delà-du magnétisme incroyable qui m’imprègne c’est l’âme de la rivière qui me caresse et me parle.
C’est le défi que propose la rivière : se taire et écouter, arrêter un instant le vacarme incessant du mental humain pour soulever le voile d’Isis, même très légèrement, à l'affut de l’agent subtil qui parcourt les rivières.
Des pratiques sont venues du fil de l’onde, depuis des années. Une forme de danse, hypnotique, quelques gestes précis, un mantra de l’eau mais aussi et surtout un désir irrésistible de communier avec le mystère qui m’entoure. S'ouvrir totalement à la rivière demande aussi une forme d'implication et d'immersion amoureuse. Ne pas se contenter de regarder de la berge mais aller à la rencontre des flots, ressentir pleinement avec son corps la merveille de l'eau pure, se soumettre au courant, danser dans l'écume et les turbulences joyeuses, plonger, s'abandonner, ne faire qu'un avec l'onde. C'est tout un art, une danse, une célébration, un lâcher-prise direct et il est si simple, si facile d'y arriver. Un zeste de spontanéïté, d'audace et beaucoup d'envie, comme un enfant ivre de jeu et d'espace.
De minute en minute une euphorie douce s’installe, une forme de plénitude sensorielle, forte, profonde, apaisante, et petit à petit la conscience glisse délicieusement vers des rivages dégagés de toute pesanteur. Le soleil brûlant exalte la rivière, qui semble jubiler en scintillant de mille feux. Les rochers palpitent et semblent danser dans leur immobilité quand une douce brise s’élève, et couronne de ses accords la journée avec un velouté irrésistible et enveloppant. L’ivresse d’une journée de rivière abolit le temps, et restaure une part d’Eden en nous-même.
Chaque minute ici semble si précieuse, unique, irremplaçable, créatrice, nous reliant à l'immensité de l'eau, ses rivières, ses lacs, ses océans. Une multitude se presse dans l'azur, parcourue de frissons extatiques. Je ne vois rien, mais je sens. Tout est si proche, enivrant, je prends part de toute mon âme à l'oeuvre de l'eau et à sa pureté, ses magies pleines, limpides, cristalines, libératrices.
Il existe maintenant un privilège que je touche du doigt, en organisant les Sentiers du Bivouac. C'est la notion de partage. Vivre ces moments avec d'autres personnes à mes côtés est une démarche créatrice, féconde, un message envoyé aux esprits de l'eau. Nous sommes comme des ambassadeurs presque malgré nous d'un genre un peu nouveau. À l'heure où l'écologie n'est encore finalement qu'une notion vague et mal comprise, il me semble qu'ici nous agissons au coeur de la conscience écologique, à la source, en accord total et fusionnel avec ce royaume si extraordinaire, dans l'instant présent. L'approche de la rivière tous ensemble dans le cadre des Sentiers du Bivouac est une démarche rééquilibrante, purifiante et épanouissante aux sources de l'écologie sacrée.